les sentiers de la création

Avec Karoline Georges (2013)

1958 : Louis-Philippe Hébert a onze ans. Il part chaque matin à l’aube (ou avant) pour se rendre au centre-ville de Montréal où il verra se construire l’impressionnante Place Ville Marie. Destination six jours semaine puisqu’il a cours le samedi matin mais congé les mardis et jeudis après-midi. Élève indiscipliné, asthmatique et frêle, il se retrouve trois après-midi par semaine « en retenue ». Il découvre alors Edgar Poe, puis curieux d’en connaître le traducteur, il retire de l’Enfer un Pléiade consacré à Baudelaire. Découverte immédiate de la poésie. Fleurs du mal en format bible, l’idéal !

1958-1962 : Écriture de nombreux textes. Rencontre et théâtre avec son camarade André Brassard. Il est aussi placier et responsable de la billetterie au Gesù pour Le Théâtre de Marjolaine et les soirées où les chansonniers font leurs débuts : Jean-Pierre Ferland, Gilles Vigneault, Plume, etc. Déçu par les auteurs qu’on lui permet de lire, toujours condamné à trois « retenues » par semaine, Louis-Philippe Hébert élabore un plan : écrire le mardi, corriger le jeudi, lire (le résultat) le samedi.

1963-1965 : Transfert au pensionnat du Collège Jean-de-Brébeuf. Élève de Placide Gaboury, il a droit à un passe-partout qui lui permet d’utiliser les classes vides pour ses travaux d’écriture — il tape ses textes à la machine à écrire qui serait trop bruyante pour une salle d’études. Il étudie l’Histoire de l’art et expérimente toutes les formes plastiques de la création sous la direction de Claude Langlois : peinture, tapisserie, sculpture, moulage, etc. À cette époque, grâce à son ami Pierre Rastoul, il publie sous forme d’ouvrages issus de stencils, de Gestetner et d’autres de gélatines ses premiers recueils. Que les deux compagnons vendent aux camarades plus fortunés. Bien qu’il n’ait pas encore atteint l’âge légal, Louis-Philippe Hébert lit et vend ses poèmes dans les bars de la rue Sainte-Catherine et autres comme La Paloma (rue Clark) ou L’Enfer et El Cortijo.

Premiers poèmes publiés en France aux Éditions de La Revue Moderne. Il fait cette année-là connaissance de plusieurs écrivains : Marcel Dubé, mais aussi Gaston Miron, Michel Beaulieu, Juan Garcia, Jean Basile, Raoul Duguay, Marcel Hébert, Roger Des Roches, Gilbert Langevin, etc.

1965-1967 : Premiers textes publiés dans des revues au Québec : dans la revue Passe-Partout dirigée par Pierre Bertrand et Juan Garcia (son ami Pierre Rastoul fait partie du comité de direction) ; dans La barre du jour (Nicole Brossard est au comité de direction) ; ainsi que dans le premier numéro de la revue qui a donné naissance aux Éditions des Herbes rouges.

1967 : Louis-Philippe Hébert a maintenant 20 ans. Il publie aux Éditions Estérel (où il a fait plusieurs travaux sous la direction littéraire de Michel Beaulieu) : Les Épisodes de l’œil, son premier recueil de poésie. Il devient pendant six mois assistant à la caméra puis à la réalisation à l’ONF. Il travaille avec Jacques Godbout. Capte sur pellicule la visite du Général De Gaulle depuis l’Anse-aux-Foulons jusqu’au discours de l’Hôtel de Ville de Montréal (« Vive le Québec libre ! ») et au départ précipité de Dorval. Il développe un projet de film 35 millimètres qui n’aboutira pas faute de temps et… d’argent.

1967 : Rentrée in extremis à l’Université de Montréal en Lettres. Participation à des revues universitaires. Le climat de la faculté et le côté timoré de l’enseignement qu’on y pratique ne lui conviennent pas. Il claque la porte de la revue, et admoneste un professeur de poésie (Vallerand…) qui peine à rendre compte d’un poème de Baudelaire (« La métamorphose du vampire »). Quand on lui demande de quel droit il remet en question l’interprétation du prof, il répond qu’il a lu, écrit et publié plus de poésie que le professeur tout bourgeois qu’il est n’a eu le talent ou l’audace de le faire durant toute sa morne existence. Sommé de se taire ou de se retirer, Louis-Philippe Hébert déclare : « Je ne reviendrai dans une université que pour enseigner. » Ce qu’il fit quelques années plus tard). Il aura écrit entre-temps son cri de révolte : Les mangeurs de terre. Un recueil de 250 pages publié au Jour.

1968-1969 : Devenu professeur de français et titulaire à la polyvalente La Magdeleine (autrefois « Romain-Robidoux »), il entreprend à lui seul une réforme de l’enseignement de la langue ; il est alors avec des élèves du Secondaire deux. Écriture de texte pour la télévision de Radio-Canada : « Les arts plastiques à la maternelle ».

1969-1970 : Libraire à La maison du livre, Place Ville Marie. Louis-Philippe Hébert se rapproche de sa passion, le livre.

1970 : Crise d’octobre. Louis-Philippe Hébert vit à la campagne et se débrouille comme il peut, notamment en lançant une pétition pour la libération de Gaston Miron alors emprisonné. LPH rencontre et héberge Micheline Lanctôt qui deviendra l’illustratrice de cinq de ses livres. Il termine l’écriture de Le Roi Jaune dans une misère qu’un hiver extrême amplifie. Il a emménagé dans la maison d’un ami, un ex-professeur au Brébeuf qui doit quitter les lieux parce qu’il est traduit en justice pour avoir laissé pousser des plants de marijuana dans son jardin. LPH est à Napierville. Les routes ne sont pas déblayées, le chauffage est déficient (il doit se déplacer dans la maison enveloppé d’une couverture électrique qu’il branche et rebranche là où il peut — une prise de courant pour la machine à écrire, une pour la couverture). La maison est assaillie par plus d’une soixantaine de chats affamés. Création et direction de la collection « Proses du Jour » où paraîtront Le Roi Jaune et Le cinéma de Petite-Rivière. LPH est finalement hébergé par le Dr Roger Simard, son oncle, et Francine, l’épouse de Roger.

1971 : LPH obtient par le biais d’un organisme appelé Alternative un contrat de création pour un jeu urbain qui doit être le point central d’une exposition consacrée à la métamorphose de la ville. L’organisme dirigé par Jean Roy utilise les sommes dévolues à d’autres fins (rénovation de l’atelier et des bureaux et un projet d’Outils planétaires dans l’esprit du Whole Earth Catalog). Louis-Philippe Hébert ne sera pas payé pour son travail de conception et réalisation d’un immense jeu où les visiteurs sont appelés à redisposer les bâtiments et services d’une ville. L’exposition a lieu au Musée des beaux-arts de Montréal.

LPH loue une chambre de bonne dans une superbe maison victorienne (qu’il évoquera dans le roman Celle d’avant, celle d’après) ; il écrit Récits des temps ordinaires (Éditions du Jour) et Le petit catéchisme illustré (Éditions de l’Hexagone). Sans le sou, il doit avoir recours à l’assistance publique pour survivre. Ses textes commencent à être diffusés à la radio culturelle de Radio-Canada dirigée par Jean-Guy Pilon.

1972 : Achat d’une fermette abandonnée (30 arpents, moitié terre faite, moitié bois debout) à Saint-Denis-sur-Richelieu. Bourse refusée, les réparations de la ferme doivent cesser. Il faut trouver une source de revenus.

1972-1975 : Louis-Philippe Hébert est nommé rédacteur-éditeur aux Archives publiques et à la Bibliothèque nationale (qui à l’époque partageaient les mêmes locaux, rue Wellington) sous l’égide de la romancière Madeleine Vaillancourt (Le petit soldat). Il déménage avec sa fille Juliette et sa compagne Madeleine Champagne à Ottawa. Louis-Philippe Hébert a 25 ans. Il deviendra tour à tour responsable des éditions, puis journaliste pour la Revue des Postes et enfin chef de l’édition française à Information Canada.

Pendant cette période, paraissent Le cinéma de Petite-Rivière (Le Jour), Textes extraits de Vanille et Textes d’accompagnement (L’Aurore). LPH complète ses connaissances du monde de l’imprimerie et de l’édition. Rencontre importante avec l’universitaire Nicole Bourbonnais.

1975 : Départ d’Ottawa et établissement sur la ferme dont la maison ancestrale (elle remonte à la rebellion des Patriotes) a pu être rénovée grâce à son salaire de fonctionnaire.

1976 : Élection du Parti Québécois. Louis-Philippe Hébert travaille à documenter les lieux des Patriotes et voit à la rénovation de la Maison Massé. Multiples textes documentaires pour la radio culturelle de Radio-Canada (Montréal), réal. : Pierre Villon et Gilles Archambault. Écriture d’une série scolaire pour la CBC (Toronto) réal. : Simon Boivin.

1976 : Parution aux Éditions des Quinze (dir. : Pierre Turgeon) de La manufacture de machines. Aussitôt, le livre devient objet d’études dans les universités pendant que la critique se gratte la tête.

1976-1979 : Rédacteur, commentateur, puis réalisateur aux émissions culturelles de Radio-Canada.

1978-1981 : Écriture du Manuscrit trouvé dans une valise (Quinze, dir. : François Hébert et François Ricard). Rédaction des fiches de présentation de la participation canadienne au Festival de Cannes. Conception de diaporamas, documents audio-visuels, etc. (dir. : Louise Grenier)

1979 : Publication du Manuscrit trouvé dans une valise.

1979-1982 : Enseignement à l’Université d’Ottawa, l’Université Laval, l’Université du Québec à Chicoutimi, etc. Rencontre avec John Boback. Premiers développements de logiciels (traitement de texte, base de données, tableur).

1980 : Représentation québécoise au Colloque de Cerisy-la-Salle. Rencontre avec Jean Ricardou et l’école des éditions de Minuit.

1981-1984 : Écrivain en résidence : Université d’Ottawa, Université Laval, Université du Québec à Chicoutimi.

1981 : Naissance d’une deuxième fille : Valentina.

1982 : Tournée européenne (Madrid, Barcelone, Genève, Lausanne, Paris, Bologne, Milan, Rome) : La mécanisation de l’écriture traite de l’impact des nouvelles technologies sur la littérature et les modes de communication.

1982 : Incorporation de la Société Logidisque, première boîte de création de logiciels en français pour micro-ordinateurs. LPH écrit les manuels, les textes de communiqués et rédige des documents explicatifs pour les hommes politiques et les journalistes. Louis-Philippe Hébert est chroniqueur au journal Le Devoir : « La revue des revues ».

1982-1996 : Écriture de plusieurs textes de conférences et textes d’accompagnement, certains publiés dans des collectifs. Poésies, nouvelles, romans de cette époque restent inédits.

1987-2002 : Participation à de multiples salons du livre (Paris, Chicago, Los Angeles, New York, Toronto, Montréal)

1996 : Retour à l’édition à temps plein pour le Groupe Transcontinental puis le Groupe Ville-Marie.

2002 : Départ de Logiques. Louis-Philippe Hébert se consacre à l’écrit à temps plein.

2002-2007 : Écriture et multiples voyages. Lectures publiques. Rencontres avec Marie Leblond, créatrice de sculptures inspirées par la bande dessinée européenne. Avec Christian Desbois, affichiste. Avec Michel Aroutchef. Avec les créateurs de Pixi (Philippe-Antoine et Pierre Guénard). Voyages annuels à Angoulème.

2004 : Ouverture de la galerie LUNIVER et cie.

2007 : Parution du Livre des plages un fort volume de poésie (350 pages, l’équivalent de plusieurs années d’écriture), ainsi que du roman La séparation en préparation depuis déjà trois ans.

2007-2021 : Deux à trois livres par an : poésie, théâtre, nouvelles, romans.

2011 : Fondation des Éditions de La Grenouillère.

2008-2020 : Au résultat, trente-cinq ouvrages originaux, et presque autant de traductions dans plusieurs langues : anglais, français, espagnol, roumain, russe, azerbaidjanais. Ainsi que de nombreux prix : Ordre des francophones d’Amérique, Prix du Gouverneur Général du Canada, Prix du Festival de la poésie de Trois-Rivières et de Montréal, etc.

2020-2021 : Années de la covid. Parution du livre prémonitoire Essais cliniques au laboratoire Donadieu.