poésie
Le masque de la Mort
Ce soir, c’est la Toussaint
tu as mis le masque de la mort
tes dents, tes yeux, des trous
des cavités, comme tes narines
ton nez
la mâchoire qui claque
les dents oui les dents
je ne les ai pas oubliées
tu as mis le masque de la mort
quel drôle de déguisement
j’ai dit quel drôle de
tu m’as interrompu
pas de déguisement
pas de faux-semblant
la vérité crue
je suis la mort
je suis ta mort
je suis
ce qu’on est
quand on n’est plus
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La prière de ceux qui ne prient jamais
Mon Dieu, qu’il fait beau !
on dit cela en ouvrant les rideaux
en se penchant pour regarder dehors
comme si en se penchant
on pouvait mieux voir ce qui ne
se voit pas
le soleil est à tout le monde
la pluie aussi
mon Dieu, qu’il fait chaud !
faites un courant d’air
mon Dieu !
laissez pivoter les pales des ventilateurs
partez les appareils à conditionner
l’air
il vente beaucoup, aujourdhui
tu n’oublieras pas le parapluie
mon Dieu, ne reste pas planté là !
on ouvre les yeux
comme on ouvre la fenêtre
et quand on ouvre la porte
c’est la vie, c’est la ville
un petit train-train dans les jambes
comme on tricote
le travail à cinq heures
qui finit
et l’odeur de l’herbe
qui a poussé sous la pluie
le tapis plein d’eau dans l’entrée
un chat dans l’allée, un chien
pour japper
et les enfants comme une sorte
d’impossibilité mon Dieu, la vie a-t-elle un sens ?
la nouvelle sagesse
cest d’observer
les feux de circulation
de sasseoir sur une chaise
et de regarder par la fenêtre
le passage au vert
le jaune puis le rouge
toutes les notions
de l’existence sont là
mouvement, arrêt, ralentissement
il s’agit d’observer
d’être à l’affût
tout peut changer
compter, compter dans sa tête
mon Dieu, où est-ce que j’en étais rendu ?
il pleut, voilà
c’est ce qui arrive
quand il tombe des gouttes de pluie
ça, mon Dieu, c’est l’évidence
et puis, tout à coup
une lumière éblouissante
le paysage devient blanc
par la fenêtre
le grondement du tonnerre
suivi dun autre éclair !
ferme la fenêtre, pour l’amour de Dieu !
l’orage, la peur
dans le noir
comment arriver à dire
ce que l’on n’arrive pas à dire ?
je t’aime, mon chéri, ma chérie
mon Dieu, comme je t’aime !
puis un long silence
qu’est-ce qu’on entend ?
on frappe, on frappe à la porte
mon Dieu, il y a quelqu’un ?
– – – – – –
Un livre de cuisine
Des années de viande
des années de foies de volaille
des années de cœurs de palmier
des années de choux
de choux-fleurs
de choucroute
des années de carotte et de navet
dasperges qui donnent envie
de céréales pleines de fibres
de lait vitaminé
pasteurisé
homogénéisé
décontaminé
des années et des années
d’ongles coupés
de cheveux tombés sur le sol
près de la chaise du barbier
ou dans la baignoire
c’est à moi, cela ?
des années de plats congelés
décongelés
de pommes de terre coupées en quatre
de beurre dans le beurrier
de jus de tomate
des années à 350 degrés Fahrenheit
de four réglé pour cinq heures
des années dans leau bouillante
de thé et de café
moudre, mordre
moudre, mordre
boire et avaler
dans l’ordre
sans penser ou
en pensant quil faut se dépêcher
des années de digestion difficile
de « Je te cherche petit pot de mayonnaise ! »
fragile
des années à tomber en amour avec une olive
farcie de piment rouge
des années avec un petit goût de métal dans la bouche
tu te retrouves aujourdhui
à préparer du pain trempé dans le lait
couvert de sucre brun
heureux dêtre en vie
ne serait-ce que pour y goûter
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Centre-ville
Je marche ma ville
comme un cimetière
il y a des feuilles partout
elles sont blanches
le vent les a arrachées
des lampadaires
elles sont blanches
les bacs de recyclage sont verts
il vole des papiers notariés
avec des sceaux rouges
qui ont des yeux ronds
pour vous regarder
je marche le centre-ville
je cherche le centre de ma vie
je ne trouve que le vide
il n’y a rien qui bouge
derrière les panneaux de verre
l’humanité entière
a été hospitalisée
j’entends encore
au loin les ambulances crier
je marche mon vide
dans le centre-ville
je vois les autos rouler
et les morts derrière les vitres
me font des signes en passant
ils gesticulent, ils hurlent
sans que je les entende hurler
ils me font signe de monter
si j’ai bien compris
mais je n’ai rien compris
je marche dans le centre-ville
je suis encore sous terre
quand, en sortant du métro
au sommet de l’escalateur
qui me pousse dans le dos
le soleil m’attend, nerveusement
avec ses bâtons de feu
ses milliards de lampes de poche
je marche dans le centre vide
encore une nuit, encore une année
à vivre parmi les damnés
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